10/12/2014
Le poème de la semaine
Jacques Chessex
Je venais de le rêver C'était peut-être celui que j'appelle "le rêve de Purcell" Ce matin-là je ne savais plus rien de la lumière Ni de son harmonie d'avant Tout à coup survint l'oiseau des alarmes heureuses Et se posa à contre-jour "Oiseau, dis-je Que me veux-tu dans ta sérénité Moi qui hésite toujours entre deux maîtres" Je vis que l'oiseau riait "Sans doute as-tu raison de rire, dis-je Mais tu m'attristes, messager de l'aube En te moquant de ma candeur Ah détourne de moi le buisson de ta tête Regagne tes passerelles vers le vide" "Je ne serais qu'une métaphore à ton regarddit le sac de plumes Un mot entre les vivants et les morts?" Il s'envola aussitôtEt je demeurai tout le jourLes heures vides qui m'attendaientAvec le prophète persifleurLe messager à la face fleurie de feu blanc Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:02 Écrit par Claude Amstutz dans Jacques Chessex, Littérature francophone, Littérature suisse, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
03/12/2014
Le poème de la semaine
Georges Perros
Les guerres n'est-ce pasÇa éclate ça mobiliseÇa fait quitter son foyerLes hommes trouvent normal D'aller à la guerreComme on va aux champignonsLes hommes ne sortiront jamaisDe cette ornièreLa guerre est un bail à renouvelerLa guerre est devenueLa condition de la paixLa révolte de la sérénité. Tant que les hommes sagesDiront ouiA la guerreOù on les envoieSans qu'ils sachent très bien pourquoiTant que les hommes ne diront pasNonA ce goût qu'ils ont de l'aventureQuand elle les rend plus amisQu'ils n'auraient jamais osé l'êtreDans la quotidiennetéTant qu'on tuera des hommesComme on tue des puces, des moustiques,En disant que c'est terrible, ces petites bêtesDe les tuer,Tant que la passion d'êtreAura partie liée avec le meurtreTant qu'il y aura des comédiensQui joueront avec talentCe qui fut vécuCe qui le seraMais ce qui ne l'est jamaisCe qui ne peut l'êtrePendant leur propre, leur pauvre existenceTant que nous aurons besoinDe nous dédoubler, de nous divertirD'apprendre avec émotionNostalgieCulpabilitéQue des hommes meurentPour des raisonsQui nous paraissent vraiesIncomparablesEt que nous en parleronsAvec émotionFrissons dans le dosUn whisky-soda s'il vous plaîtCe sera non. La guerre entre les hommesEst peut-être inévitableUn mauvais rêve du bon DieuTout le troupeau en uniformeOn y court tous comme des lapinsA la guerre. Nous avons fini par comprendreQue nous sommes tous colonisésQue l'homme est une colonieApte à la liberté d'êtreQui commencePar le partage du pain et du vinEt si personne ne fait ce painN'écrase ce raisinEh bien nous apprendrons à faireÀ écraser, à sulfater, à pétrirNous deviendrons des paysansCe que nous sommes tousMalgré la citadinetéQui nous enveloppecomme des saucissons, des momies. La terre n'en tournera pas moinsComme une folleAutour du fou par excellenceDe ce sanglant dégoulinantQui sait si bienNous foutre mal au crâneEt nous noircir la peauDe cet ivrogne dans l'azurQui fait mûrirQui fait pourrirQui dit le sec et le mouilléSur nos fronts partitions striésSans la moindre musique à l'intérieurRengaine où sanglote la sourceBarques sur le dosO nos révoltes grains de sablePoussière dans le vent fanéQui nous redira folle courseLa joie faroucheDes chevaux du langageQuand tout était encore tremblantD'avoir liberté de mourirQuand tout faisait encore semblantDe l'oublier dans un sourireLes temps sont venus de la mortDe qui portes-tu le deuil, Terre,Grosse de tant de cadavresQue leur innocence a trompésMais dont l'âme flotteEn nos rêvesNous ne pourrons jamais plus vivreA marcher sur vos jeunes osA piétiner votre colèreNous ne pourrons jamais plus rireComme il faudrait de bas en hautLa glotte folle,Avec cet ogre en nos poitrinesQui nous ronge nous fend la peauAllezCar nous serons bientôt ensembleDans la bohème du caniveauNous fuirons en faisant la plancheVers d'autres rêves d'autres feuxAutour desquels perdre nos rimesQui ne sont plus d'amourNi d'aiseIl est fondu, notre métalNous nous retrouverons bientôt. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
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26/11/2014
Le poème de la semaine
Jacques Prévert
Cet amour Si violent Si fragile Si tendre Si désespéré Cet amour Beau comme le jour Et mauvais comme le temps Quand le temps est mauvais Cet amour si vrai Cet amour si beau Si heureux Si joyeux Et si dérisoire Tremblant de peur comme un enfant dans le noirEt si sûr de lui Comme un homme tranquille au milieu de la nuitCet amour qui faisait peur aux autres Qui les faisait parler Qui les faisait blêmir Cet amour guetté Parce que nous le guettions Traqué blessé piétiné achevé nié oublié Parce que nous l'avons traqué blessé piétiné achevé nié oublié Cet amour tout entier Si vivant encore Et tout ensoleillé C'est le tien C'est le mien Celui qui a été Cette chose toujours nouvelle Et qui n'a pas changé Aussi vraie qu'une plante Aussi tremblante qu'un oiseau Aussi chaude aussi vivante que l'été Nous pouvons tous les deux Aller et revenir Nous pouvons oublier Et puis nous rendormir Nous réveiller souffrir vieillir Nous endormir encore Rêver à la mort Nous éveiller sourire et rire Et rajeunir Notre amour reste là Têtu comme une bourrique Vivant comme le désir Cruel comme la mémoire Bête comme les regrets Tendre comme le souvenir Froid comme le marbre Beau comme le jour Fragile comme un enfant Il nous regarde en souriant Et il nous parle sans rien dire Et moi j'écoute en tremblant Et je crie Je crie pour toi Je crie pour moi Je te supplie Pour toi pour moi et pour tous ceux qui s'aiment Et qui se sont aimés Oui je lui crie Pour toi pour moi et pour tous les autres Que je ne connais pas Reste là Là où tu es Là où tu étais autrefois Reste là Ne bouge pas Ne t'en va pas Nous qui sommes aimés Nous t'avons oublié Toi ne nous oublie pas Nous n'avions que toi sur la terre Ne nous laisse pas devenir froids Beaucoup plus loin toujours Et n'importe où Donne-nous signe de vie Beaucoup plus tard au coin d'un bois Dans la forêt de la mémoire Surgis soudain Tends-nous la main Et sauve-nous. Quelques traces de craie dans le ciel, Anthologie poétique francophone du XXe siècle
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19/11/2014
Le poème de la semaine
Jean-Pierre Siméon
Je suis né à Paris de parents français:mon état civil est netcomme une chemise du dimanche. Mais je suis étrangerplus étranger que l'étranger à mon paysquand il est dur et froid comme la pierreet fermé comme une porteau ciel changeant des visages. Je suis étranger à la beautéqui ne s'offre qu'à son miroir,étranger à celui qui sonne le tocsinpour un courant d'air,étranger forcémentà la douceur d'un sourires'il dit non Etranger vraimentplus étranger que l'étranger lui-mêmeau pays qui met son blé et sa lumièreà la cave du coeur. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
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12/11/2014
Le poème de la semaine
Claude Roy
Le grand arbre calme allait de soi Les oiseaux habitaient ses étages depuis les moineaux friquets au premier jusqu'au couple de hulottes au sommet Les enfants y bâtissaient des maisons aériennes aussi cachées que celles du Robinson Suisse On ne pensait pas à l'orme comme à un vivant puisqu'il était la vie sans nom de personne On disait "l'arbre" et le vent répondait Aujourd'hui l'arbre va très mal Il est maladeIl va mourir Il se dessèche et roussit comme s'il était incendié du dedans Vivant ce n'était qu'un arbre Mort c'est un vieil ami mort Il aurait dû verdir bien plus longtemps que nous Il s'en est allé le premier. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
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05/11/2014
Le poème de la semaine
Charles Vildrac
Elle était venue sur les marches tièdesEt s’était assise. Sa tête gentille était inclinéeUn peu de côté; Ses mains réunies étaient endormiesAu creux de la jupe; Et elle croisait ses jambes devant elle,L’un des pieds menus pointant vers le ciel. Il dut le frôler, ce pied, pour passerEt il dut la voir. Il vit son poignet qui donnait envieD’être à côté d’elle dans les farandolesOù l’on est tiré, où il faut qu’on tirePlus qu’on n’oserait… Et il vit la ligne de son épauleQui donnait envie de l’envelopperDans un tendre châle. Mais le désir lui vint de regarder sa boucheEt ce fut le départ de tout.Mais le besoin lui vint de rencontrer ses yeuxEt ce fut la cause de tout. Quelques traces de craie dans le ciel, Anthologie poétique francophone du XXe siècle
02:20 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
29/10/2014
Le poème de la semaine
Jean-Pierre Siméon
La vie doncn'est jamais au centreet c'est dans les banlieues de la penséeque s'invente le monde.Le désir que voulez-vousdéfait les draps,ce qui n'est pas comblébouge comme l'amouret ne demandez pas au ventde se tenir dans la cage. Voyez vos villesleurs banlieues sont brutalescomme la soifau bord du puits. Voyez le matincomme il brise l'ombrepour gagner sa clarté. Voyez vos mainscomme elles tremblentautour de vos chagrins. Ne cherchez pas la beautédans la colèremais la véritéque vos gesteslonguementont bâtie. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
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22/10/2014
Le poème de la semaine
Boris Vian
Pourquoi que je visPourquoi que je visPour la jambe jauneD'une femme blondeAppuyée au murSous le plein soleilPour la voile rondeD'un pointu du portPour l'ombre des storesLe café glacéQu'on boit dans un tubePour toucher le sableVoir le fond de l'eauQui devient si bleuQui descend si basAvec les poissonsLes calmes poissonsIls paissent le fondVolent au-dessusDes algues cheveuxComme zoizeaux lentsComme zoizeaux bleusPourquoi que je visParce que c'est joli. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
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15/10/2014
Le poème de la semaine
Madeleine Riffaud
merci à Monique D
Je te donne mon souffleEt la dernière flamme.Et je prends ta chaleurPour oublier le noir, l’inconnu et la peur.Je te donneLa course de mon cœur,Le dessin des cheveux sur la plage des draps. Je veux prendre ta vie dans mon sang.Je veux perdre ma vie dans tes mains.Je m’en vais poignardéeDérivant dans tes veinesEt je renais en flammeEt te ferme les yeux. Tu es aveugle. Pour mieux voirQuand tu chavires avec nous un soleil éclaté:Je suis plus près que tu ne crois. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
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01/10/2014
Le poème de la semaine
Jean-Pierre Lemaire
Ceux qui ne sont inscrits nulle partregardent au loin la ville illuminéeles immeubles nocturnescomme de grandes stèles noirescouvertes d'une écriture inconnued'un alphabet de feu calligraphiérigoureux, indéchiffrable Ils pleurent de tant liresans pouvoir traduiretandis qu'à l'intérieur, en nousil n'y a rien d'écritet que toutes les pagesderrière la nuitredeviennent blanches. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
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